La cadastre français, des origines à nos jours

Le cadastre français.
Des origines à nos jours

Christian ANTOINE
Résumé de la Communication du 14 avril 2007

 

Étymologiquement, le mot cadastre vient du provençal « cathastre », lui-même altération de l’ancien italien « catastico » emprunté au bac grec katastikhon, signifiant liste ou registre.

On sait généralement ce qu’est le cadastre aujourd’hui. Son histoire pourtant est aussi ancienne que l’histoire économique des peuples.

Les premières communautés ont pensé naturellement qu’il était impératif, pour subvenir au besoin collectif, d’opérer un prélèvement sur les produits des richesses de la terre : ainsi la contribution foncière était née.

Pour la répartir équitablement, il fallait connaître l’étendue et la nature des biens et en évaluer le revenu. D’où la nécessité d’un état descriptif et évaluatif des propriétés foncières : telle est l’origine du cadastre, dont la création remonte à la plus haute Antiquité.

 

Des origines à la Révolution Française

Antiquité

C’est à Telloh, dans le désert d’Arabie, qu’on a découvert une tablette chaldéenne rédigée en écriture cunéiforme, donnant le plan côté, la superficie et la description de la ville de Dunghi vers l’an 4000 avant J.C. Les figures géométriques représentent les différents lots du terrain mesuré, chacun d’eux étant déterminé par ses côtés et sa surface.

Hérodote rapporte que, dans les républiques grecques de l’Asie Mineure payant tribut, Darius avait fait mesurer les terrains pour fixer leur contingent respectif.

En Égypte, l’impôt foncier était établi d’après l’étendue et le revenu net des propriétés. Le cadastre servait d’ailleurs aussi pour la constatation du droit de propriété, en particulier pour retrouver chaque année les limites de propriété enfouies sous le limon fertile après les débordements périodiques du Nil.

En Grèce, il existait une sorte de cadastre fournissant la base du « cens » (voir définition ci-dessous), dressé à l’aide des déclarations des citoyens. Certains auteurs affirment que, sous l’administration romaine, les arpenteurs avaient mesuré tout le territoire de la Grèce et que les plans parcellaires levés par leurs soins et reportés sur des tables de marbre ou de bronze avaient été transportés à Constantinople où ils n’ont d’ailleurs pu être retrouvés.

On attribue à Servius Tullius (578-534 av. J.C.), sixième roi légendaire de Rome, l’institution du cens. Le cens était le dénombrement qui servait de base au recrutement de l’armée, à la détermination des droits politiques et au recouvrement de l’impôt.

Tous les citoyens étaient tenus de déclarer la consistance et la valeur de leurs biens. Les déclarations, vérifiées à chaque lustre, étaient consignées sur des registres spéciaux appelés Tabulae censuales. Ceux-ci indiquaient la contenance des terres, leur nature de culture, leur qualité et leur produit, enfin les noms du fermier ou du colon de chaque parcelle.

Un vaste recensement que l’on peut assimiler à une sorte de cadastre général, a été effectué sous Auguste, et Tacite déclare que l’empereur voulut écrire de sa propre main le résumé de la statistique du monde romain.

Les Romains ont pratiqué deux formes de cadastre, fondées d’ailleurs sur les mêmes principes et appliquées, l’une au tracé des villes et l’autre à la répartition des terres dans les campagnes.

Cependant, la majorité des cités romaines ne disposaient pas d’un cadastre basé sur un arpentage parcellaire. Ainsi, les livres de répartition des impôts appelés capitastra, étaient simplement rédigés à l’aide de déclarations : celles-ci devaient indiquer la désignation de chaque fonds, sa contenance, son revenu pendant les dix dernières années et sa valeur capitale.

 

De la Gaule à la Révolution

La Gaule

La Gaule, comme les autres colonies romaines, a été soumise au régime du cens, d’abord par César  puis par Octave Auguste, son successeur, qui alourdit le tribut imposé par le premier. Tous les immeubles étaient uniformément frappés, après déclaration des propriétaires, d’une double contribution, en argent et en nature. Tibère et Néron s’employèrent à renouveler les premiers travaux de recensement.

L’invasion des Barbares modifia peu la situation : l’ère mérovingienne ne fut, à bien des égards, que le prolongement du Bas Empire, et ses rois continuèrent, en particulier, à utiliser les registres du cens établis par les romains.

 

Les Carolingiens

L’époque carolingienne fit faire à la question cadastrale de légers progrès dus à l’initiative de quelques seigneurs et membres du clergé qui réussirent à constituer des descriptions détaillées de leur domaine désignées sous les noms de terriers, polyptyques, pouillés ou compoix.

De cette époque, nous restent certains documents qui nous renseignent sur la manière dont était établie alors la contenance des propriétés : les plus connus sont le polyptyque (an 806) de l’abbaye de  St-Germain-des-Prés et celui de Saint-Rémy à Reims (an 845).

 

Le Moyen Âge

Au Moyen Âge, l’affaiblissement progressif du pouvoir central ayant permis aux membres de la noblesse et du clergé de lever les impôts pour leur propre compte, le cadastre revêtit un caractère essentiellement local qu’il devait conserver jusqu’à la fin de l’ancien régime.
Son objet fut toujours l’établissement de la taille qui frappait tous les biens roturiers – à l’exclusion des biens nobles – dans les provinces où les tailles étaient réelles, qu’il s’agisse de pays d’État (Languedoc, Provence, Pays de Foix, Comté de Bigorre, Pays de Marsan) de pays conquis (Artois, Flandre Wallonne, Flandre maritime, Hainaut, Corse) ou de pays d’élection (Généralités de Grenoble, Auch, Montauban, élections d’Agen ou de Condom).

L’Ancien Régime

Sous l’Ancien Régime, au fur et à mesure que s’affirmait la puissance royale, le besoin d’un système cohérent et juste, et conjointement d’un cadastre régulier, s’imposait avec une vigueur croissante. Plusieurs rois, parmi lesquels Charles VIII, Louis XIV et Louis XV, avaient conçu le projet d’appliquer cette grande opération à tout le royaume, mais différentes causes y firent obstacle. Parmi celles-ci, on peut citer la pénurie des finances, le défaut d’instruments et de méthodes assez perfectionnées, la résistance des grands vassaux, l’impossibilité de donner une impulsion unitaire et d’adopter un mode d’exécution uniforme dans des provinces qui étaient si différentes par leurs coutumes, leur langage et leurs mesures.

D’autres projets de cadastre général, appuyés sur un arpentage des terres, furent initiés par Dutillet de Villars en 1781 et surtout Lamy en 1789. C’est à cette époque que Gracchus Babeuf, archiviste médiéviste du Vermandois, proposa, dans un mémoire intitulé Projet de cadastre perpétuel un système de partage de toutes les propriétés à raison de onze arpents par ménage. Une telle proposition conforme au principe d’égalitarisme de Babeuf, vint refroidir l’intérêt général que l’on portait au cadastre et en retarda la réforme.

De la Révolution à nos jours

 

Le Cadastre Napoléonien

En juillet 1807, au retour de Tilsit, l’empereur Napoléon déclarait à Mollien son ministre du trésor :

« Les demi-mesures font toujours perdre du temps et de l’argent. Le seul moyen de sortir d’embarras est de faire procéder sur le champ au dénombrement général des terres dans toutes les communes de l’Empire, avec arpentage et évaluation de chaque parcelle de propriété. Un bon cadastre parcellaire sera le complément de mon CODE, en ce qui concerne la possession du sol, Il faut que les plans soient assez exacts et assez développés pour servir à fixer les limites des propriétés et empêcher les procès. »

À l’initiative de Gaudin, duc de Gaète, ministre des finances, fut édictée une loi du 15 septembre 1807 qui est à l’origine du cadastre parcellaire français.

Elle se fixait comme objectifs de :

  • mesurer sur une étendue de plus de 7 901 myriamètres carrés, plus de cent millions de parcelles ;
  • confectionner, pour chaque commune un plan où sont rapportées ces parcelles, les classer toutes d’après le degré de fertilité du sol, évaluer le produit imposable de chacune d’elles ;
  • réunir, au nom de chaque propriétaire, les parcelles éparses qui lui appartiennent ;
  • déterminer, par la réunion de leurs produits, son total et faire de ce revenu un allivrement qui sera désormais la base de son imposition.

Nécessité d’une réforme du Cadastre de 1807

Remarquablement exécuté pour l’époque, le cadastre de 1807, qu’on désigne sous le vocable d’Ancien Cadastre ou Cadastre Napoléonien, était malheureusement entaché d’une tare fondamentale : l’immuabilité du plan. En effet, seules les matrices cadastrales étaient annotées chaque année des mutations survenues dans les propriétés des parcelles, mais le plan cadastral n’était pas mis à jour.

D’abord peu perceptible, dans un contexte où la propriété ne se modifiait que lentement,  l’exigence de conservation du plan se fit jour avec l’évolution de l’économie rurale et surtout avec le développement important du réseau des voies de communication.

Mais il fallut attendre le retour de la République, après les évènements de 1870-1873, pour voir le problème évoluer. Trois projets de 1876, 1877 et 1879 visaient au renouvellement ou à la révision du cadastre et à sa conservation.

Les réformes successives

Suivant le vœu exprimé par le  Parlement, un décret du 30 mai 1891 institua, sous la présidence du ministre des finances Rouvier, une grande commission extra-parlementaire du cadastre de 76 membres comprenant : députés, juristes, publicistes, géomètres et représentants des grandes administrations. Dès sa première séance, la commission se partagea en trois sous-commissions : technique, juridique et financière. Au bout de quatorze années de travail elle rendit ses conclusions sous la forme de trois avant-projets de loi : le premier  sur la rénovation (terme générique, voir « Vocabulaire en fin d’article) et la conservation du cadastre,  le deuxième sur les privilèges et hypothèques, et le troisième sur les livres fonciers.

Pendant les travaux de la commission extra-parlementaire, il apparut que la réalisation des grands projets de réforme en cours était sans doute encore lointaine. Or, la nécessité de rénovation était criante dans un nombre croissant de communes.

La loi du 17 mars 1898 permettait aux communes de demander la réfection de leur cadastre. Elle reprenait le principe des techniques déjà élaboré par la commission extra-parlementaire mais ne prévoyait pas l’instauration d’un livre foncier.

Mais, une fois de plus, en raison de la faiblesse des crédits alloués par l’État et aussi de l’indifférence des communes, cette loi ne fut que peu appliquée. En dehors du département de la Seine, où le conseil général prit à sa charge toutes les dépenses non couvertes par l’État, seules 150 communes demandèrent la réfection de leur cadastre.

Tenant compte de ce principe, la loi du 16 avril 1930, en prescrivant une révision exceptionnelle des évaluations foncières, posa le principe d’une rénovation générale de l’Ancien Cadastre, à la charge de l’État, de même que la conservation annuelle des plans rénovés. La loi indiquait que la  réfection complète du cadastre ne serait effectuée que dans les communes où ceci s’avérait indispensable. Dans les autres, un simple travail de mise à jour du plan était prévu.

Dans les départements d’Alsace-Lorraine, la rénovation du Cadastre Napoléonien fut entreprise par l’administration allemande par une loi du 31 mars 1884. Cette loi fut maintenue en vigueur lors du retour de la région annexée à la France.

Le système hypothécaire français basé sur le code civil et une loi de 1855 était depuis longtemps sujet à de vives critiques, en particulier parce que la publicité y était incomplète et en conséquence n’assurait pas la sécurité juridique des transactions immobilières.

Le principe du décret était le suivant : le cadastre, sous réserve qu’il soit rénové, assure l’identification et la détermination physique des immeubles tandis que le fichier immobilier en détermine l’état juridique dans toutes ses composantes.

Le nouveau système est entré en vigueur le 1er janvier 1956 dans toutes les communes dont le cadastre était rénové.

Derniers aménagements

Diverses dispositions viendront améliorer le système mis en place par la loi du 16 avril 1930.

Certaines communes (ou parties de communes) ont fait l’objet après la dernière guerre de remembrements, opérations visant à réduire le nombre de parcelles et surtout améliorer les conditions d’exploitation des terres. C’est une loi du 9 mars 1941 qui a défini les modalités de cette réorganisation foncière.

Le remembrement dispose des atouts de la réfection pour la qualité du plan. C’est aussi la seule forme de rénovation où il est procédé à un bornage des propriétés, dont les mesures figurent sur le plan minute de conservation.

Plus récemment, certaines communes ont été remembrées à la suite de grands travaux comme l’aménagement du Rhône, les autoroutes ou le TGV. On estime à environ 15 millions d’hectares les zones remembrées, soit 28 % du territoire national.

Par ailleurs, une dernière loi du 18 juillet 1974 a institué le remaniement cadastral. Cette opération consiste en la refonte complète des documents cadastraux dans les communes où :

  • le plan n’offre plus la qualité suffisante ;
  • la valeur foncière des terrains s’est notablement accrue.

Elle est effectuée à partir de photographies aériennes calées sur un canevas précis au sol.

Enfin, un dernier aménagement est intervenu depuis 1990 ; il s’agit de l’informatisation du plan cadastral, soit par la numérisation du plan donnant un support numérique, soit par la scannérisation donnant un plan image.

Cependant il est important et nécessaire de remarquer que l’informatisation du plan n’améliore en rien sa qualité ni sa sécurité juridique. Celles-ci restent les mêmes que celles du support papier.

État des lieux et conclusion

Depuis les années 1970, il n’existe plus de commune sous le régime napoléonien.

Pour autant, plus de la moitié du territoire dispose encore d’un plan dont la « carcasse » est napoléonienne, c’est-à-dire rénové par voie de mise à jour.

À ce jour, coexistent sur le territoire français des cadastres à régime et valeur très différents et inégaux.

Établi depuis les débuts sans délimitation contradictoire, le cadastre n’offre aucune garantie ni de la contenance des parcelles, ni de leur limites. C’est en effet un témoin de la « possession », mais en aucune manière une garantie ni une preuve de propriété, uniquement une simple présomption.

Il reste cependant un outil majeur dans la connaissance du territoire et il constitue l’état-civil de la propriété.

VOCABULAIRE

Élection (pays d’) : sous l’Ancien Régime, en matière financière et fiscale, on appelait « pays d’élection » ou simplement « Élection » les subdivisions des généralités,  où le représentant du gouvernement royal, l’intendant, répartissait les impôts avec l’aide des « élus » au niveau local.

Les pays d’élection s’opposent aux pays d’états, comme la Bretagne ou la Bourgogne, où la fiscalité est réglée par des règles particulières et qui bénéficient d’une certaine autonomie, et aux pays d’imposition, comme l’Alsace, la Lorraine ou la Corse, qui eux dépendent de la seule autorité du Roi.

Pendant longtemps les représentants du gouvernement royal étaient élus par les États généraux, d’où le nom : élection.

Généralité(s)  : une généralité est une circonscription administrative de la France d’Ancien Régime. Il y eut jusqu’à trente-sept généralités, les dernières ayant été créées en 1784. Elles furent créées en 1542 avec l’Édit de Cognac.

Réfection (1898-1930) : rénovation reposant sur un nouvel arpentage parcellaire.

Remaniement (1974 ): Refonte complète des documents cadastraux par voies aérienne et terrestre dans les communes dont la qualité du plan est médiocre et dont la valeur est importante.

Remembrement (1942) : Réunion des parcelles afin d’en diminuer le nombre et d’améliorer les conditions d’exploitation.

Renouvellement (1850) : pseudo-réfection, soit réfection du plan sans délimitation des immeubles.

Rénovation : terme général signifiant REFONTE des documents regroupant les vocables Révision, Renouvellement et Réfection.

Révision  (1930) : rénovation par voie de mise à jour de l’Ancien Cadastre.