La Septante LXX : la Bible Grecque d’Alexandrie

par Jacques OBERNESSER

La Septante est à son origine une traduction en langue grecque à partir de l’hébreu des cinq premiers livres de l’Ancien Testament, la Torah ou Pentateuque. Cette traduction est exécutée vers moins 285 avant notre ère à Alexandrie sous le règne de Ptolémée II, dit Philadelphe, de la dynastie des Lagides. La Septante est communément transcrite dans le système numérique latin sous la forme LXX ( du latin septuaginta).

La LXX est le fruit d’un travail échelonné sur plus d’un siècle (environ -250 à -150 avant notre ère) dans sa version la plus élaborée.

À cette traduction du Pentateuque s’ajoutèrent au fil du temps d’autres livres de la bible hébraïque ainsi que des textes écrits directement en grec et appelés deutérocanoniques. Mais ni le judaïsme ni les Églises de la Réforme ne reconnurent ces textes deutéro-canoniques.

Le contexte géopolitique de l’époque de la Septante concerne avant tout le bassin méditerranéen et les grands empires voisins, Égypte, Babylone, Perse. Comme tous les empires ils ont eu un besoin d’expansion ou de conquêtes. La Palestine d’alors était un lieu de passage obligé et Gaza constituait un verrou qui ouvrait la route d’une étroite bande côtière entre Méditerranée et les hauts plateaux de la Judée, puis, passé le Jourdain, la péninsule arabique désertique. Ces entités politiques et religieuses ont voulu faire entre Gaza et Meggido un glacis militairement défendu.

La prise de Jérusalem par les armées babyloniennes en -587 provoque en Judée une importante crise politique et religieuse dont les conséquences immédiates furent la déportation de l’élite vers la Mésopotamie. Une partie des tribus s’exila dans tout le bassin méditerranéen, en particulier vers les embouchures de fleuves, début des axes de pénétration, une autre partie vers les oasis du Hedjaz de la péninsule arabique, en particulier vers Khaïbar et Yathrib. Cette dernière deviendra plus tard Medinat an Nabi, Médine, la ville du prophète de l’Islam. Ces populations subirent au cours du temps de profondes acculturations au contact des autres nations.

Le fils du roi grec de Macédoine, Alexandre, part vers l’Est à la conquête de la Mésopotamie puis de la Perse pour s’arrêter au confins de l’Indus . Sous la pression de ses généraux il fait alors demi-tour, conquiert la Palestine et passe en Égypte. Il fonde alors, à l’Ouest de l’estuaire du Nil, la ville d’Alexandrie. Il meurt à Babylone en -323.

Le général macédonien Ptolémée fils de Lagos crée la dynastie des Lagides. Satrape d’Égypte il en devient roi pour les Grecs et pharaon pour les égyptiens après la mort du dernier pharaon égyptien Alexandre Aigos (XXXI dynastie). Notons que l’Égypte deviendra une province de Rome après la mort violente de Cléopâtre  en -30. Le général Séleucos crée la dynastie des séleucides. Il constitue un empire syro-iranien formé de la majeure partie des territoires orientaux conquis par Alexandre avec pour capitale Antioche sur l’Oronte. Antiochus IV essaiera d’imposer la religion et les lois grecques au Judéens ce qui débouchera sur l’écriture du livre de Daniel et la révolte des Macchabées. Ces deux dynasties, Lagides et Séleucos, se feront la guerre pour posséder ce glacis que constitue la Palestine.

La LXX nous est connue par un document, la lettre d’Aristée, datée suivant de récentes études de -100 avant notre ère. Ce document, assez long, est censé avoir été rédigé par un grand officier du pharaon Ptolémée II à son ami Polycarpe. Le nom de l’auteur est un pseudonyme, le document est qualifié de pseudépigraphe. Ce procédé littéraire a été souvent utilisé dans les écritures de l’Ancien Testament comme le deutéro Isaïe et le trito Isaïe et, pour le Nouveau Testament, certaines épîtres de Paul. Ce procédé a été aussi utilisé à notre époque dans l’attribution d’un prix Goncourt (Émile Ajar/Romain Gary).

Alexandrie

Aux termes de la lettre d’Aristée, Démétrios de Phalère, fondateur et responsable de la grande bibliothèque d’Alexandrie propose au pharaon Ptolémée II Philadelphe de faire traduire les textes religieux juifs pour les inclure dans ses collections. Il suggère au pharaon de s’adresser à Élèazar, grand prêtre du temple de Jérusalem, pour lui demander de recruter des personnes compétentes pour réaliser cette traduction. Élèazar sélectionne alors six hommes parmi les douze tribus d’Israël, donc soixante et douze, versés sans la culture hébraïque et aussi hellénistique. Ceux ci se rendent à Alexandrie où pharaon les reçoit et se prosterne sept fois devant eux et les cinq rouleaux de la Torah. S’ensuit un banquet qui dura sept jours au cours duquel il interrogea chacun des soixante et douze traducteurs.

Les traducteurs sont installés sur l’île de Pharos, au pied du phare sans possibilité de communiquer entre eux et travaillent durant soixante et douze jours. Au terme desquels, lecture faite devant Démètrios , constate que les soixante et douze traductions sont identiques et s’exclame que la traduction vient de Dieu lui même.

La lettre d’Aristée est un excellent reflet de l’état d’esprit du judaïsme alexandrin, à notre époque nous pourrions la qualifier de publicitaire. Sa tradition est très riche on en compte au moins vingt manuscrits dont certains trouvés dans les grottes de Qumrân.

Il est vraisemblable que cette légende ait pour origine un midrash (commentaire rabbinique) faisant allusion aux soixante dix anciens sages d’Israël escortant Moïse, Aaron et ses fils montant au Sinaï (Exode24, 1 à 9). Dans la tradition talmudique soixante et dix est le nombre des nations. Il est aussi probable que la traduction ait été réalisée sous la contrainte : les alexandrins n’hésitaient pas à extorquer tous les manuscrits qui se trouvaient à bord des navires pour ne leur rendre que des copies.

Dans toute traduction il y a une langue de départ ici : l’hébreu et une langue cible : le grec. Sans oublier l’adage : traduction-trahison.

D’abord quel hébreu? L’hébreu est une lange sémitique comme l’araméen, l’akkadien et l’arabe. Les langues consonantiques ne peuvent être lues qu’en voyellisant les consonnes par a ,e,o, u. Cette voyellisation s’est faite et s’est stabilisée au fil des siècles.

Avant la Réforme la lecture se faisait à haute voix en psalmodiant. La Bible hébraïque est aussi appelée miqra, mot dans lequel apparaît la racine sémitique « Q R ‘ » que l’on retrouve dans Coran, et qui signifie lire en psalmodiant. Les textes étaient copiés manuellement par des scribes qui pouvaient avoir des sensibilités théologiques différentes. C’est ainsi que dans les grottes de Qumrân ont été trouvés des textes de la LXX différents. Nous ne savons pas quelle recension du texte hébreu a été choisie pour la traduction de la Torah.

En grec Torah a été traduit par nomos, loi, ce qui n’est pas pleinement le sens de Torah.

Mais quel grec? Il est évident que le grec de la LXX n’est pas le grec de l’Attique, le grec d’Homère. Le français de Rabelais n’est pas le français de notre époque. Il est tout à fait normal qu’une langue évolue au cours du temps, la langue se comporte comme un corps vivant en fonction de l’usage qu’en font les locuteurs. Le grec parlé à Marseille devait être différent de celui parlé à Alexandrie ou à Antioche. Notre français est différent de celui parlé au Canada. Le grec de la LXX est le grec de la koinè, la koinè est une langue véhiculaire qui s’est crée par l’interpénétration des différentes langues rencontrées par les troupes d’Alexandre ainsi que par les colons qui se sont installés dans le pourtour du bassin méditerranéen. Elle est aussi riche d’hébraïsmes. Une autre question s’est posée aux rabbins : le grec pouvait il traduire une langue de sainteté (leshon ha kodesh) comme l’hébreu ? Une tradition rabbinique repose sur une interprétation de Gn. 9, 27 ss). Rappelons l’épisode : après la sortie de l’arche lorsque Noé s’est enivré, ses trois fils eurent des comportements opposés. Cham a vu la nudité de son père, Sem et Japhet l’ont respectueusement cachée d’un manteau. Revenu de son ivresse, Noé, prophétise de l’avenir de ses trois fils et de leurs descendants. Canaan le fils de Cham est maudit, il sera voué à l’esclavage. Sem est béni, quant à Japhet, Noé exprime pour lui le souhait suivant :

Qu’Elohim élargisse pour Japhet,
Qu’il s établisse dans les tentes de Sem.

corinthgrec

Pour la tradition rabbinique, Japhet représente le peuple grec et Sem le peuple Hébreu. La prophétie annonce que la langue grecque habitera chez les Hébreux ; le grec pourra traduire l’hébreu des livres hébraïques.

Quels sont les apports de la LXX ? La LXX n’a pas été la première traduction de la Torah. Une première traduction fut faite au retour d’Esdras et Néhémie autorisés à retourner à Jérusalem suite à l’édit de Cirrus. Pour consacrer la reconstruction du deuxième Temple ils font une lecture publique de la Torah en hébreu que personne ne comprend, la langue vernaculaire étant devenue l’araméen. Il faut donc traduire et cette traduction est aussi une interprétation (herméneutique). La plus célèbre est celle d’Onkélos que l’on retrouve sur la colonne de gauche des pages du Talmud.

Un exemple pratique des apports de la LXX nous est donné par la dénomination des cinq livres du pentateuque, en hébreu ils sont nommés par le premier mot de chaque rouleau et deviendront :

  • Bereshit → Genèse
  • Shemot → Exode
  • Vayqra → Lévitique
  • Bemidbar → Nombres
  • Devarim → Deutéronome

L’apport le plus intéressant est l’apport théologique. Au troisième siècle de notre ère se constitue le Nouveau Testament écrit en grec. Les Pères de l’Église avec la LXX, augmentés des textes deutérocanoniques, vont se trouver en possession d’un corpus de textes entièrement en grec. A partir de là et au fil des conciles successifs les dogmes de l’Église chrétienne vont se constituer. Ces dogmes pour le principal sont rassemblés dans une prière dénommée le Symbole des Apôtres ou Credo. Les Églises d’Orient n’adopteront pas toute la totalité des dogmes. La LXX aurait pu avoir un destin universel dans le pourtour méditerranéen ; mais c’était sans compter les différents courants théologiques qui se sont affrontés, tant du côté chrétien que du côté de l’Église issue de la circoncision que l’Église issue des Gentils.

Le judaïsme a repris en grec la traduction de la LXX pour la rendre beaucoup plus hébraïque. On peut citer la version d’Aquila de Sinope, de Théodotion, de Symnaque l’Ebionite.

De nos jours la LXX sert de texte de base aux Églises orthodoxe grecque, traduite en slavon elle est la bible utilisée par les Églises orthodoxes de lange russe.

Pour ce qui nous concerne, en langue française, elle est la base de la Traduction de la Bible Œcuménique, TOB, que l’on peut saluer comme un grand effort de rapprochement des différents courants chrétiens et même en partie avec le judaïsme.

Bibliographie

  • Collection Cahiers EVANGILE – Le Livre de Daniel. Ed. Cerf
  • Selon les Septante – Hommage à Marguerite Harl. Ed.Cerf
  • La langue de Japhet – Quinze études sur la Septante et le grec des chrétiens. Ed. Cerf
  • L’apport de la Septante aux études sur l’Antiquité. Collection Lectio Divina. Ed. Cerf.

Crédits photographiques

  • Alexandrie à l’époque de Ptolémée par Gind2005 (CC:BY-SA)
  • 1 Corinthians 13 par James Ogley (CC:BY-SA)